Et si les séries nous rendaient plus intelligents ?
Une théorie vient apaiser notre culpabilité lorsqu'on se retrouve au lit, un soir de plus, devant un écran plutôt qu'un roman. Selon le philosophe Philippe Nassif, les séries nous apporteraient bien plus qu'un simple divertissement. […]
Votre propos va en déculpabiliser plus d'un… Quelles sont selon vous les vertus particulières des séries ?
Il faut tout d'abord souligner qu'elles constituent aujourd'hui le seul objet culturel véritablement « pop », c'est-à-dire partagé par tous les milieux sociaux, toutes les générations. On y trouve une énergie, un écho grand public que l'on ne voit nulle part ailleurs. On peut en parler avec sa mère, son voisin de bureau, une personne croisée au café. Peu de films, de livres ou de musiques réussissent à rassembler la société entière, à capter l'esprit du temps, comme les grandes séries le font. […]
Elles semblent captiver davantage que les films. Pourquoi un tel engouement ?
L'âge d'or des séries tel qu'on le connaît correspond à l'avènement des chaînes de télévision payantes à la fin des années 1990, qui, bénéficiant du financement des abonnés, ont pu élaborer des produits ambitieux, sans l'impératif de s'adresser au plus grand nombre. Cette qualité de production a attiré de très bons scénaristes, acteurs et réalisateurs, à un moment où Hollywood était moins créatif. C'est ainsi que sont nés des projets exigeants et originaux comme Les Sopranos ou Six Feet Under. Par ailleurs, si les séries s'appuient comme le cinéma sur cette matière universelle du récit, ce qui fait leur puissance est qu'elles se déploient sur un temps long, en se donnant l'espace de développer une multiplicité de personnages, tous très fouillés, quand le cinéma se concentre sur une intrigue portée par un héros. […]
Vous parlez de notre rapport « éthique » avec les séries. De quoi s'agit-il ?
Je considère, et je ne suis pas le seul, que si nous leur consacrons autant d'attention et de temps, c'est qu'elles nous offrent une respiration morale par rapport au discours dominant. Dans notre société de la performance, nous sommes incités à ne jamais avouer nos faiblesses, à vivre dans un autocontrôle permanent, à nier nos défaillances et nos fragilités pour afficher le profil conquérant de cette super-woman ou de ce super-mec qu'on devrait tous être. Les séries télé, au contraire, mettent en scène des antihéros rarement sympathiques : plutôt égoïstes, velléitaires, incohérents, volontiers paumés. Et pourtant, ils nous intéressent ! […]
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